(Que) peut-on manger tard le soir ?

Parmi les idées reçues les plus tenaces en matières de nutrition, le mythe selon lequel manger tard le soir ferait prendre du poids. Il faudrait, selon les versions, arrêter de manger à 17, 18 ou 19h00, le corps arrêtant de consommer de l’énergie à une heure donnée, un peu comme un supermarché qui baisse ses grilles même s’il reste des clients à la caisse.

Ce n’est pas l’heure qui compte

Ceux qui supportent cette thèse s’appuient, entre autre, sur une étude réalisée par Fred Turek et Deanna Arble de la Northwestern University [1], réalisée sur des souris. Elles ont été séparées en deux groupes qui ont été soumis à un régime hyper-calorique identique, les unes étant nourries la nuit (heure à laquelle elles se nourrissent habituellement), les autres la journée (heure à laquelle elle devraient dormir). On a constaté une prise de poids de 20% dans le premier groupe et une prise de 48% dans le second. On en a donc déduit que le fait de manger à l’heure à laquelle on devrait dormir faisait grossir.

Mais se baser sur une seule et unique étude, effectuée sur des souris est tout de même léger, d’autant plus que la réelle cause de cette différence entre les deux groupes n’a pas pu être clairement déterminée. Même problème concernant l’étude menée en Suède en 2002 [2] auprès de 83 femmes obèses et 94 femmes non obèses. On a constaté que les femmes du premier groupe avait une plus grande tendance à manger le soir. Mais on ne peut là non plus lier leur obésité à l’heure de leur prises de repas.

D’autre part, plusieurs études vont à l’encontre de ces conclusions. Notamment une étude effectuée par des chercheurs de la Oregon Health & Science University [3], effectuée sur 47 singes rhésus femelles, dont la plupart mangeaient tard le soir ou la nuit, et qui n’a démontré aucun lien entre l’heure à laquelle elles s’alimentaient et une éventuelle prise de poids. L’étude menée par Lyndel Costain du Dunn Nutrition Center de Cambridge va dans le même sens : les participants ont été placés dans des pièces permettant de mesurer les calories brûlées et stockées. Ils ont reçu pendant une première période des déjeuners lourds et des dîners légers, puis des déjeuners légers et des dîners lourds pendant une seconde période. Aucune différence n’a été relevée au niveau du stockage de graisses.

La conclusion de ces études, partagée par nombre de scientifiques, est que ce n’est pas tant l’heure à laquelle on mange qui est à l’origine de la prise de poids mais plutôt ce que l’on mange et le nombre total de calories que l’on consomme dans la journée. Avis partagé par beaucoup d’autre, notamment la American Dietetic Association qui rappelle qu’une calorie est une calorie quelque soit l’heure à laquelle elle est consommée et que tant que les dépenses caloriques sont inférieures à la consommation il y aura prise de poids, indépendamment de l’heure, et inversement.

Quelle est la cause de la prise de poids ?

Les études, c’est bien, mais l’expérience vous a montré que vous avez pris du poids lorsque vous mangiez tard. Attention à ne pas vous méprendre quant aux raisons de cette prise.

Les repas consommés tard le soir sont rarement dictés par la faim. Ils sont souvent associés à l’ennui, ou à un état de stress. Le choix se porte vers des aliments riches en lipides et en sucres (chips, gâteaux, glace, etc.) Certaines personnes mangent en continu du dîner jusqu’au coucher, soit en grignotant ça et là, soit parce qu’ils sont absorbés par une autre activité et qu’ils ne se rendent pas compte qu’il sont en train de finir un paquet entier (ordinateur, télévision…)

Dans d’autres cas, il s’agit de personnes qui souhaitent perdre du poids, s’imposent trop de restrictions au cours de la journée puis se rattrapent le soir pour combler leur faim de façon excessive. Ajoutons à cela le fait que sauter un repas augmente la production de ghréline, hormone qui augmente la sensation de faim, l’envie d’aliments caloriques et qui favorise la formation de graisse.

Et puis, autre point important, et non des moindres. Qui dit repas de nuit, dit surtout heure du coucher tardive et c’est peut-être là qu’est le véritable problème. Comme nous l’avons déjà évoqué dans l’article consacré à l’importance du sommeil, l’heure du coucher ainsi que le nombres d’heures de sommeil sont des facteurs importants de prise de graisse.

Faut-il se passer des glucides ?

Si ce n’est pas l’heure qui compte mais la composition des repas, une question se pose alors : que peut-on manger le soir ?

Vous entendrez souvent qu’il ne faut pas manger de glucides le soir dans la mesure où le métabolisme est très ralenti à cette heure proche du coucher. Les glucides, consommés tardivement, auraient donc plus de chance d’être stockés sous forme de graisse. Tout cela parait logique à première vue, après tout, lorsque nous dormons, nous sommes inactifs et il est logique que nous consommions moins de calories.

Cependant, tout n’est pas si simple si l’on s’intéresse au métabolisme au cours du sommeil. Une étude menée par le Dr Katayose [4] démontre que les dépenses d’énergies baissent de 35% au cours de la première partie du sommeil. Cependant, le métabolisme augmente de façon significative au cours de la seconde moitié, notamment à cause de la phase de sommeil paradoxal ou R.E.M. (Rapid Eye Movement). Au final, le métabolisme au cours du sommeil ne semble pas être inférieur au métabolisme de base (activité métabolique au repos au cours de la journée). Ajoutons à cela le fait que la pratique d’un sport permette d’augmenter le métabolisme au cours du sommeil, permettant une meilleure oxydation des graisses.

Il est également question de la sensibilité à l’insuline. Le Dr Delabos, dans sa méthode de chrono-nutrition nous rappelle que les pics d’insuline sont beaucoup moins élevés le soir alors que c’est cette hormone qui permet de synthétiser les glucides. Il est vrai que si l’on compare les repas pris le matin et ceux pris le soir, les niveaux de glucose sanguin et d’insuline restent élevés plus longtemps avec les repas du soir. Cette différence s’explique par le fait que le repas du matin vient après une longue période de jeune (sommeil) et que cela améliore donc la sensibilité à l’insuline. Cependant, si l’on compare le repas du midi avec celui du soir, l’étude de la American Heart Association [5] démontre qu’il n’y a pas de différence quant à la sensibilité à l’insuline et la tolérance au glucose. Dans ce cas, pourquoi autoriser les glucides à midi et pas le soir ?

On pourrait même aller plus loin et conseiller leur consommation tardive. Une étude menée par le Journal of Obesity [6] a opposé deux groupes de personnes auxquelles il a été donné la même quantité de calories, protéines, glucides et lipides à des moments différents. Au bout de 6 mois, il est apparut que ceux qui consommaient la majorité de leurs glucides le soir avaient perdu plus de poids et de masse graisseuse que ceux qui ont consommé la majorité des glucides au cours de la journée. Il est apparu qu’ils avaient également une plus forte sensation de satiété. Une fois de plus, cela serait dû aux hormones : le premier groupe présentait de plus hauts niveaux d’adiponectine, hormone permettant l’augmentation de la sensibilité à l’insuline et favorisant le brulage des graisses. Ils avaient aussi des niveaux plus élevés de leptine (hormone qui induit la sensation de satiété), moins de cholestérol LDL (mauvais) et plus de cholestérol HDL (bon).

Quelle attitude adopter ?

Difficile de se situer devant la profusion d’informations et d’études contradictoires sur le sujet. Et comme toujours, d’autres études viendront surement appuyer ou contredire les unes ou les autres. Alors soyons un peu orgueilleux et rappelons nous que le meilleur spécialiste concernant notre régime alimentaire c’est nous. Ce qui marche avec les uns ne marche pas forcément pour les autres et un régime alimentaire adapté ne se construit pas en 2 jours. Il y a des ratés qui nous permettent d’en apprendre plus sur notre corps et ses réactions face à divers modes d’alimentation. Je suis pour prendre ce qu’il y a de bien dans chaque méthode, à partir du moment où le tout reste cohérent et que les résultats sont avérés.

Personnellement, je pense qu’il n’est pas nécessaire de s’arrêter de manger à une heure précise et qu’il n’est pas non plus nécessaire de s’interdire tous glucides, tout est question de modération. Un petit snack à base de protéines avant le coucher pour aider les muscles à se réparer est même le bienvenu, à plus forte raison si vous avez une pratique sportive intensive. Une étude de la Wayne State University [7] conseille d’ailleurs de consommer une portion de céréales après le dîner pour limiter les grignotages tardifs et favoriser ainsi la perte de poids. Je ne suis pas trop d’accord avec le choix des céréales, mais sur le principe, oui.

Pour vous préserver de tout mauvais effet, voici quelques dispositions à prendre :

– Ne pas vous affamer la journée pour ne pas risquer de vous rattraper excessivement le soir,

– Planifier vos menus quotidiens à l’avance en incluant une collation du soir pour être certains de ne pas faire d’excès,

– Préparer les repas de la journée dans des boîtes séparées pour éviter d’improviser avec des aliments inappropriés.

Mais n’oubliez pas que si un repas tardif raisonnable n’a pas d’incidence négative sur votre poids, il peut en avoir sur la qualité de votre sommeil.

___________________________________________________

[1] « Circadian Timing of Food Intake Contributes to Weight Gain. » Fred Turek, Deanna Arble, Joseph Bass, Aaron D. Laposky and Martha H. Vitaterna (Juillet 2009)
[2] « Meal patterns and obesity in Swedish women: a simple instrument describing usual meal types, frequency and temporal distribution » H Bertéus Forslund, A K Lindroos, L Sjöström and L Lissner (Européan Journal of Clinical Nutrition, Août 2002)
[3] « Evidence in female rhesus monkeys (Macaca mulatta) that nighttime caloric intake is not associated with weight gain » E.L. Sullivan, A.J. Daniels, F.H. Koegler, J.L. Cameron (Oregon Health and Science University, Décembre 2005)
[4] « Metabolic rate and fuel utilization during sleep assessed by whole-body indirect calorimetry » A. Katayose, M. Tasaki, H. Ogata, Y. Nakata, K. Tokuyama, M. Satoh (Juillet 2009)
[5] « Diurnal variations in cardiovascular function and glucose regulation in normotensive humans » P. Biston, E. Van Cauter, G. Ofek, P. Linkowski, K. S. Polonsky, J.P. Degaute (American Heart Association, 1996)
[6] « Greater weight loss and hormonal changes after 6 months diet with carbohydrates eaten mostly at dinner » S. Sofer, A. Eliraz, S. Kaplan, H. Voet, G. Fink, T. KIma, Z. Madar (Octobre 2011)
[7] « Evening ready-to-eat cereal consumption contributes to weight management » S.M. Waller, J.S. Vander Wal, D.M. Klurfled, M.I. McBurnet, S. Cho, S. Bijlani, N.V. Dhurandhar ( Août 2004)

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *